sera la « vedette » des prochaines Assises sur la fiscalité. Zaya Mimoun Professeur en Droit public explique pourquoi cette taxe est inefficace et comment l’Etat en est arrivé à un stade de collecter une TVA qu’il doit ensuite rembourser en s’endettant.
Elle devra être la « star » de ces Assises fiscales. Elle a montré depuis longtemps des signes de défaillance. Et les raccommodages et autres rafistolages effectués, dans les différentes lois de finances, n’ont pas permis d’améliorer son fonctionnement et de limiter ses incidences « négatives » sur l’activité économique et le pouvoir d’achat des ménages.
La TVA marocaine n’a jamais été ni neutre ni efficace
A son institution, elle portait déjà les germes de son inefficacité : diversité de taux et d’exonérations. Elle a évolué depuis pour devenir ubuesque. En effet, collecter une TVA qu’on doit ensuite rembourser en s’endettant : c’est un non-sens, une hérésie fiscale.
Evidemment, pour certains impôts, il peut y avoir des restitutions, mais si le montant à rembourser se chiffre en centaines de millions de DH, alors on doit s’inquiéter sérieusement. En effet, dans ce cas elle ne répond plus à une partie de la définition de l’impôt qui est consacrée : « l’impôt est un prélèvement effectué à titre définitif. »
Effectivement, ce n’est pas un emprunt. Pourtant on est tenté de dire que les opérateurs économiques ne sont pas uniquement des intermédiaires, chargés de collecter la taxe pour le compte du trésor public, mais qu’ils sont devenus, par la force des choses, les financiers de l’Etat.
Aujourd’hui, l’Etat est sommé d’agir, voire même sonné, par la situation de l’économie souffrant d’un manque de trésorerie chronique. Dans l’incapacité de rembourser la totalité de la TVA, les pouvoirs publics ont choisi le système de l’affacturage. Une convention avec les banques, qui les engage à prendre en charge le principal de la TVA, à rembourser sur 5 ans, en laissant aux opérateurs la charge des intérêts.
Cette démarche a déjà été adoptée par le ministère de l’Economie et des Finances, contraint de conclure, le 13 octobre 2015, deux protocoles d’accords, avec l’ONCF et l’ONEE, pour préciser les modalités de prise en charge par l’Etat de leur crédit de TVA cumulé au 31 décembre 2013. Dans ce cadre, l’ONCF et l’ONEE ont été autorisés « à lever sur le marché financier national des prêts à hauteur des crédits TVA nés sur la période 2004-2013, respectivement de 1,8 Milliards de dirhams et 2 Milliards de DH. Les échéances de remboursement des prêts sont prises en charge par l’Etat et réglées sur 7 ans.
Le crédit de TVA : la chienlit fiscale
En fait, le crédit de TVA, c’est comme la chienlit, une mauvaise herbe qui se reproduit à l’infini, renforcée par les lois de finances annuelles qui apportent de nouvelles mesures sans cohérence avec l’ensemble du texte de la TVA.
Ainsi, pour l’ONCF, on a tenté de régler sa situation de butoir en relevant le taux de TVA applicable de 14% à 20%, sachant que ses charges d’investissements supportent un taux de 20%. Résultat, on se retrouve avec deux taux de TVA pour le transport : 20% pour l’ONCF et 14% pour le reste des transporteurs.
Pour le secteur de l’agroalimentaire, comme les agriculteurs, ses principaux fournisseurs, sont hors champ de cette taxe, il a été institué une mesure biscornue, dénommée TVA « non apparente ». Elle leur permet de déduire une TVA théorique, déterminée sur la base des achats de produits agricoles utilisés dans la transformation.
Il est important de savoir que les dysfonctionnements de cette taxe sont la résultante de plusieurs facteurs :
- Le premier tient à la présence d’un grand nombre d’exonérations, certaines sans droit à déduction et d’autres avec droit à déduction ;
- Le deuxième concerne la multiplicité de taux : 0%, 7%, 10%, 14% et 20% ;
- Le troisième est lié au fait que la TVA n’est pas applicable à toutes les activités, comme le secteur agricole, par exemple. L’absence de généralisation de la taxe brise la chaîne du processus, qui devrait la transmettre en totalité sur le consommateur final. Celle-ci devant être perçue à tous les stades de production et de commercialisation ;
- Enfin, il faut ajouter la fraude fiscale de certaines entreprises formelles et la présence d’un secteur informel dont l’importance reste difficile à appréhender et à évaluer.
Mais, cela n’empêche pas les opérateurs, qui ne peuvent récupérer la TVA, de l’intégrer dans leurs prix de vente, grevant ainsi le pouvoir d’achat des ménages. De même, une baisse de taux n’est pas automatiquement répercutée. A l’inverse, une augmentation de taux se traduit, presque toujours, par une augmentation du prix de vente
Ces différents facteurs expliquent l’absence quasi totale de neutralité de la TVA. Mais, on peut tendre vers ce principe en agissant sur les taux. En effet, l’élargissement de l’assiette fiscale et la réduction de leur nombre permettraient de renforcer son efficacité et sa neutralité.
De même, une réduction du nombre d’exonérations, combinée à une diminution des taux éviterait de collecter beaucoup et d’être obligé d’en restituer une bonne partie.
Bien évidemment, la question est bien plus complexe. Cela suppose une étude empirique sur la base de chiffres vérifiables pour identifier les dysfonctionnements et réfléchir à des solutions concrètes, mesurables et surtout plus stables.
Cependant et en priorité, on doit s’intéresser aux deux précédentes réformes, la première initiée en 2005 et la seconde en 2013, pour établir un diagnostic et analyser les causes et les contraintes n’ayant pas permis de les mener à terme.
Par ailleurs, une question simple : que rapporte vraiment la TVA au budget de l’Etat, si l’on déduit les remboursements et le montant de ses dépenses fiscales ?
Une réforme, c’est aussi le choix d’une démarche : faut-il prévoir une refonte globale ou agir progressivement ? Cela dépendra de la capacité à évaluer les incidences sur l’économie et sur le niveau des recettes fiscales.
Enfin, faut-il le rappeler, « La fiscalité n’est pas un sujet de théâtre qui autorise l’improvisation sur ses planches.»
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Par : Zaya Mimoun /EcoActu